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 Bro Gozh va Zadoù, gardienne de ma mémoire.

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RPG

Bro Gozh va Zadoù, gardienne de ma mémoire. Empty
MessageSujet: Bro Gozh va Zadoù, gardienne de ma mémoire.   Bro Gozh va Zadoù, gardienne de ma mémoire. EmptyVen 26 Avr - 22:50

Le bruit de la foire empli les environs. L'air vibre de rires, de chants, de négociations joyeuses. Ma mère, dans sa robe de toile, ses longs cheveux bruns caressant ses reins au rythme de ses pas, porte un lourd panier plein de légumes. Ses joues roses et encore enfantines sont relevées, elle plaisante avec ses amies, et ses yeux verts comme l'herbe s'illuminent. Accroché à ses jupons, je suce mon pouce. Les gens me lancent des regard terrifiés dont je ne comprends pas la raison. Au dessus de nous, le ciel d'azur se floute sous la chaleur. Il y a une jeune fille, les cheveux blonds comme le blé d'avant la moisson, les yeux sombres, qui me sourit. Intimidé, je me cache un peu plus. Je n'ai que trois ans, mais je sais déjà modifier mon apparence, aussi ai-je vraiment l'air d'avoir l'âge que je devrais. Mais ce depuis mes cinq semaines. Je ne sais pas pourquoi je suis différent. Maman a le ventre enflé, et parle d'un enfant dedans. Je ne comprends pas d'où il vient, cet enfant. Je n'ai pas de père, alors il ne peut pas exister. Et puis, elle dit que ce sera mon petit frère. Mais mon père est pas là, alors c'est pas possible. Elle perd la tête maman, je crois. Pourtant tout le monde dis comme elle. Je comprends pas. Je sais pas comment ça se peut. Mais bon, tant pis.
Nous reprenons le chemin du village. Les enfants de la ville me regardent d'un air mauvais, et je baisse la tête, dépité. Tout à l'heure, je suis allé les voir et leur ai demandé si je pouvais jouer avec eux, mais ils m'ont lancé des cailloux et ont dit que j'étais maudit.

"Dis maman... C'est quoi maudit ?
-C'est des bêtises mon ange. Qui t'a dis ça ?
-Les enfants, en ville...
-Ne les écoute pas."

Elle ne dit jamais rien de plus.
Le soir, c'est la veillée. demain, c'est Beltaine. Maman et moi allons près du feu au centre du village, et les autres lui demandent de chanter. Elle a une très belle voix, ma maman. J'aime quand elle chante. Elle se lève, déploie sa gorge, et entonne ma berceuse. Je pose ma joue dans ma paume, et fixe les flammes. Elles m'attirent. Je les vois danser, je vois des animaux, une princesse qui retrouve son amant, des fleurs. dans le soir, la voix de maman me berce, et je sens mes paupières se faire lourde alors que je regarder danser le feu. Soudain, elle me redresse. Tous les regards sont fixés sur moi, et elle me souffle qu'ils voudraient m'entendre chanter parce qu'ils ont entendu dire que j'avais une jolie voix. Engourdi, je me lève, époussette mollement mes braies, et ouvre la bouche. Ma voix juste s'élève lentement dans l'air, enfantine et féminine. L'hymne de notre Bretagne chérie s'egrène doucement dans le village, et je vois des visages surgirent des petites rues, des enfants et des adultes, des sourires sur les lèvres, une lueur curieuse au fond des yeux. Des voix se joignent à la mienne, celles des guerriers surtout. Un sourire fleuri sur mes traits poupins, et une bouffée de joie m'envahi. Pour la première fois, je me sens chez moi. La peur a disparu de leurs faces, et je semble accepté. Mais soudain, le chef déboule dans la foule, et vient saisir le bras de maman.

"Fais le taire ! Il n'est pas l'un des nôtres ! Il n'a pas le droit de chanter ça !! Il n'est pas breton !"

Maman sursaute, se dégage de sa prise et, outrée, saisi ma main pour m'entraîner dans notre maison à l'écart. De grosses larmes montent à mes yeux, et j'éclate en sanglots. Le mari de maman nous rejoins, et commence à crier. Il hurle qu'elle devrais se débarrasser de moi, que je n'apporte que des problèmes, et mes pleurs redoublent. Je voudrais comprendre pourquoi on me déteste tant. Mais il n'y a rien à faire, personne ne veut me dire. Je m'enfui encore une fois, dans les bois, et le regrette deux heures plus tard. Il pleut. des trombes d'eau dégringolent du dôme qui me surplombe, et s'infiltrent partout. J'ai mal. Inexplicablement, l'eau me brûle et je ne crains pas le feu. Une goutte s'écrase sur le dos de ma main, et je hurle.

"Grand frère !! Grand frère !!! Amarok réveille toi !!!!"

J'ouvre les yeux, me redresse violemment sur mon matelas, et cherche ma sœur des yeux. Mais elle n'est pas là. Je rencontre alors deux yeux sombres encadrés de cils dorés, et un visage fin. Maël. Mon coeur fait des bonds dans ma poitrine, et je respire comme après une course. Le Bro Gozh résonne dans ma tête, et je craque. Je pousse mon frère au lit, l'endort en chantant cet air qu'il affectionne tant, héritée d'une fille que j'appréciais. Cette chanson que je hais, qui me rappelle à quel point mon enfance me manque. Il s'endort, et je quitte l'appartement dans les cinq secondes qui suivent, après avoir rédigé un petit mot pour lui. Il faut que j'y aille, j'en ai besoin. Elle m'appelle.
Je me pose à l'aube américaine, tombée du jour breton, en terre d'Armorique. Les bois ont beaucoup changé, mais ils n'ont rien perdu de leur âme, et les dolmens anciens sont encore là, solides témoins du passé. Je vois apparaître des images de Beltaines anciennes, maman dansant dans la lumière des flammes, ma petite sœur attrapant les étincelles, se brûlant la paume que maman guérissait toujours. Elle ressemblait à Mrs Thompson, maman, avec ses potions et ses techniques étranges, mais ce n'était pas une Sylvaine. Elle était humaine, et c'est ce qui a fait ma folie. Car elle était avant tout mortelle. Je m'enfonce dans le bois de chênes et de hêtres imposants, et respire les odeurs familières du sel et de l'humus mêlés. Une pierre gravée de symboles que les humains ne comprennent plus arrête ma course, et je m'assois sur les feuilles mortes et crissantes. Je tire sur une corde dissimulée, et une brèche s'ouvre dans le sol. Je descends, ébranlé, et arrive dans une crypte humide et sombre. Ici reposent ma mère, mes deux sœurs et mon frère, leurs enfants avec, tous sauf maman tués de ma main éprise de sang, possédée de fureur pour la première fois. Une harpe trône dans un coin, le nom de ma mère gravé dessus en lettres à la forme oubliée. Je tombe à genoux devant la tombe qui détient le souvenir du corps de maman, et laisse la mélancolie m'envahir. Il m'arrive parfois de rêver que je suis avec elle, la tête sur ses genoux, alors qu'elle caresse ma chevelure brune et conte des histoires au coin des flammes.
Ce soir là, je prends l'avion. L'aéroport diffuse To France de Mike Oldfield. Magnifique. Je proposerai à Lydia de venir s'installer ici. Oh et puis non. Elle n'acceptera jamais, parce qu'elle dira qu'il pleut trop et que c'est trop loin. La pluie, surtout. Tant pis. C'est le lot de tout démon authentique, la souffrance de perdre les êtres chers. J'aurais aimé avoir une mère immortelle. Mais ça aurait fait de moi une petite chose toute faiblarde aux yeux des autres et surtout de Père. Tant pis. Je suis ce que je suis, nul n'y peut quoi que ce fut.
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Bro Gozh va Zadoù, gardienne de ma mémoire.

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