J’étais au parc, à regarder le paysage blanc de l’hiver. L’hiver, à Milwaukee, c’est blanc comme neige qui s’entassait sur le bord de la route. Mais au parc, habituellement vert, totalement pure de blancheur, rien ne vient gâcher ce splendide tableau, même pas les habitant de la ville qui restent pour la plupart sont enfermé chez eux devant l’ordinateur ou la télévision. Ils feraient mieux de sortir, ces imbéciles. S’ils savaient que si l’on résiste au froid, l’on résiste à tout, même au pire. Car si nous sommes assez forts pour ne pas rester planté devant son monstre électronique, nous sommes invincibles. Surtout qu’ils ratent le plus grandiose des saisons, celle qui, pour moi en tout cas, réveille les instincts littéraires. On a alors envie de la décrire, de la faire, de la peindre, de la regarder encore et encore sous toute les coutures sans jamais s’en lasser. Si j’avais sur moi de quoi écrire je sortirais immédiatement mes feuilles et mon stylo encore noire et j’écrirais, je gratterais sans cesse, assise dans la neige ou même dans un arbre. Car quand on admire une telle beauté, on oubli même son vertige. Et puis, admirer un tableau vivant, ce n’est pas la même chose que fixer un écran dénué de sens comme de vie et de sentiments, cela n’abime pas les yeux, ne donne pas mal à la tête, et surtout, on a envie de ne plus rien faire d’autre que de l’admirer inlassablement. C’est une œuvre d’art vivante que rien au monde ne pourrait égaler ? Et pourtant, nos imitations ne sont pas sans vie, elles sont l’hiver sans l’être.

Pensif, j'ai quitté les Hespérides tôt ce matin. Mes pensées me poursuivent, me coulent. J'ai donc enfilé moufle, bonnet et veste d'hiver pour aller me percher dans l'un des chênes centenaires du parc de Milwaukee. Le silence de l'hiver m'apaise. Mais hélas, il favorise le cheminement de mes pensées négatives. Ainsi, assis les jambes dans le vide à califourchon sur le tronc noir et blanc de neige, je pense à Mathieu, à nos années de primaire. Les joues et le nez rougis par le froid, je tente de me réchauffer en fermant les bras contre mon torse. Le noir de mon monde me déprime . J'aimerais pouvoir scruter l'horizon immaculé, y retrouver le lièvre blanc qu'on ne voit jamais, comme avant.
Je finis par pleurer, accablé par la solitude. Au fond, je n'ai pas beaucoup d'amis. Et ceux que j'ai, je les éloigne pour protéger leur réputation. Lydia par exemple. J'en arrive donc à sangloter dans un arbre, le sel et l'eau de mes larmes me faisant souffrir le martyre encore plus que d'habitude à cause du du froid.
Et finalement, un bruit léger de pas dans le tapis de neige qui m'entoure me fait sursauter. Je tente de contrôler mes larmes, mais je dois avouer que ce n'est pas un franc succès. Je fais un bruit pas possible et en plus je tremble. Tant pis, autant jouer pour le tout.

Qui... Qui est là ?

J'ai une toute petite voix tremblante, ça fait bizarre... J'espère que ce n'est pas quelqu'un du lycée, enfin surtout pas un populaire...

"Qui... Qui est là ?" begailla soudain quelqu'un.

La voix était sortie de nul part. Je regardai autour de moi après être sortie brusquement de mes pensées et me rendis alors compte que j'étais à présent à côté d'un grand chêne, l'un de ceux au centre du parc. Sans m'en rendre compte, j'étais arrivée ici, au beau milieu du paysage blanc. Je levai les yeux et découvris un Tarek rouge de pleurs et tremblant de froid. On aurait dit un petit garçon d'une dizaine d'année à peine ; il était si mignon, si chou.

"Tarek ? Qu'est-ce qu'il y a ?"

Je demandais en grimpant lentement dans l'arbre au prix d'un immense effort pour oublier le vide en dessous.

"Ça ne va pas ? Tu veux en parler ?"

Je me glissai lentement prés de lui et le pris doucement dans mes bras. C'était étrange, je en pensais pas voir un jour mon aîné dans un tel chagrin et encore moins que ce serait moi, Aeryn Ahonni, qui le consolerais.
Et le tout dans un ARBRE !
Enfin, il pouvait être content de lui, il avait réussi à me faire vaincre ma peur ce qui n'était pas souvent_lors de mes vols et c'était tout normalement.
Je le serrai tout contre moi. Il n'avait pas intérêt à se plaindre, ce ne serai pas tout les jours que je ferai une telle chose. J'étais trop gentille, cela me perdrai, c'était sur. Et lui, il l'était trop aussi. Il était du genre à ne pas faire mal à une mouche et même si celle-ci était contre lui, j'étais certaine qu'il trouverait encore le moyen de la protéger. Tout le monde pensait que le gentillesse était un don mais c'était tout le contraire, c'était un grand défaut qui nous poussait à faire beaucoup de chose que nous regrettions ensuite, cela nous poussait à aider des gens qui n'en valaient pas la peine. Enfin, je disais que j'étais gentille, mais c'était peut être trop gentil de dire une telle chose. Je m'embrouillai. Non, je n'étais gentille qu'avec les personnes gentilles. Mes ennemis, c'étaient justement mes ennemis et eux, ils ne valaient pas la peine que je sois gentille avec eux. Eux, ils pouvaient mourir dans d'atroces souffrances, je m'en fichai.
Je regardai Tarek. Quand je pensai qu'il avait un an de plus que moi. On n'aurait pas dit, il paraissait si petit, si innocent.

"Ne t'en fait pas Tarek, je suis là ! Tout va bien !"

Oui, tout allait bien !

Les pas se sont arrêtés sous le chêne, sans doute à la recherche de la localisation de ma voix. Normal, on ne s'attend pas forcément à me trouver dans un arbre...

"Tarek ? Qu'est-ce qu'il y a ?"

Aeryn. Oh... Zut, je vais lui faire une drôle d'impression. Un terminale de dix huit piges qui chiale dans un arbre ça fait vraiment pitié. Et je ne veux pas qu'on ait pitié de moi. C'est vraiment ma hantise. Elle monte dans l'arbre pour me rejoindre, l'air un peu effrayée par l'idée de se retrouver sur une branche à vingt mètres du sol.

"Ça ne va pas ? Tu veux en parler ? Ne t'en fait pas Tarek, je suis là ! Tout va bien !"

Là je dois avouer que je ne sais pas quoi penser. Personne, hormis Lula, ne m'a jamais consolé de cette façon. Ou du moins, tenté de me consoler. Parce que ça a toujours été un échec cuisant pour Lula. Et que là je ne me sens vraiment pas bien. Je commence même à faire de l'hyperventilation. Je souris tout de même à la jeune fille, à travers mes larmes intarissables. Un rire bizarre et entrecoupé de hoquets me prend, et je cache mon visage rougi derrière mes mains.

"Ça va... Ça va aller. Je... C'est juste... Je vais bien. N't'en fais pas. Y a... Rien du tout. Juste... Un petit coup de blues. Laisse...

Je replie mes jambes vers moi et éclate définitivement en sanglots déchirants, les doigts crispés dans mes cheveux coupés à l'arrache il y a deux jours. Oui, j'ai pris un ciseau et j'ai massacré ma longue chevelure flamboyante à grands coups, laissant ma nuque complètement dégagée et des mèches un peu plus longues sur le devant, dont l'une vient toujours me chatouiller le nez. Aeryn n'a sans doute pas encore remarqué à quel point je me suis charcuté les cheveux, mais à mon avis elle va trouver ça étrange. J'y tenais comme à ma propre vie, à ces cheveux longs. Mais j'ai tout coupé. Sur un coup de tête. Et ça aussi, ça me fait souffrir. Je suis bête ! J'en peux plus, je sais plus où j'en suis, je comprends même plus ce que je fais ce que je dis, c'est la catastrophe là. J'aurais besoin de voir Matt, mais il doit rester avec Lucilla. Ça aussi, ça commence à me peser. J'pensais que j'm'en foutrais, mais la vérité c'est que je suis dingue, vert de rage et de jalousie. Je ne la supporte plus, je ne peux plus faire semblant, je ne lui dis plus bonjour et je l'envoie paître dès qu'elle essaie d'être gentille avec moi. Putain j'en ai marre de Milwaukee !!! Je fixe mes yeux vides d'expression sur Aeryn, les lèvres entrouverte en une moue désespérée et suppliante. Va-t-en, s'il te plaît...

Tarek me fixe, le visage rougis par les larmes avant de se dissimuler derrière ses mains, comme pour cacher qu'il avait un grand chagrin. Un rire étrange le prend tout à coup, entrecoupé de hoquet. Je sens bien qu'il ne va pas bien, pas besoin de le cacher.
Lorsque j'arrivai enfin sur la branche où le terminal s'était installé, je m'assis à ses côtés et le pris dans mes bras pendant qu'il commençait :

"Ça va... Ça va aller. Je... C'est juste... Je vais bien. N't'en fais pas. Y a... Rien du tout. Juste... Un petit coup de blues. Laisse..."

Soudain, le garçon ne peut plus se retenir et il éclate définitivement en sanglot. Ses jambes sont repliées à présent et il met les mains à ses cheveux que je regarde. Ils sont court, Tarek les a coupé. Lui qui aimait tant ses cheveux longs, qu'a-t-il pu lui arrivé pour qu'il fasse une telle chose ?
Je le sers un peu plus fort contre moi, on dirait un enfant tellement il est mignon comme cela. Cela me fait tout drôle de le voir ainsi, je n'aurais jamais imaginé même l'entrapercevoir dans cet état.

"Chut Tarek. Ne t'en fait pas, tu n'es plus seul maintenant. C'est tout ce qui compte pour le moment. D'accord ? Je suis là, je peu t'aider."

Je n'ose pas lui parler de ses cheveux coupés. Comment pourrait il réagir si je le faisais ? Si cela se trouve, il l'est à coupé dans son grand chagrin et risque de le regretter si je lui en parle dès à présent. Il vaut mieux attendre un petit peu qu'il se calme et après, je lui demanderais ce qu'il se passe. Cela va surement durer toute l'après midi, j’espère qu'ils ne sont pas pressé au lycée car je risque de ne pas rentrer immédiatement.
Il se remet alors à neiger de gros flocons autour de nous, c'est sublime et je regarde ce magnifique spectacle sans lâcher Tarek.

"Regarde, il neige !" Je lui lance en souriant.

Elle arrive en haut de l'arbre, et me prend spontanément dans ses bras. Il y a bien longtemps que personne n'avait fait ce geste envers moi, et je me raidit l'espace d'un instant. Et puis je me dégage de ses bras en grommelant. Non, je ne veux pas de réconfort. Je ne veux pas inspirer la moindre pitié. Je ne veux pas qu'on me voit comme ça...

"Chut Tarek. Ne t'en fait pas, tu n'es plus seul maintenant. C'est tout ce qui compte pour le moment. D'accord ? Je suis là, je peu t'aider."

T'es là, oui, bien sûr... Personne n'est jamais là quand il faut. Personne n'était là quand Mathieu se faisait massacrer par son cinglé de paternel. Je n'était pas là quand Aèl à fait de lui le garçon immoral et intolérant que je fréquente au lycée. Je n'étais pas là quand ce même Aèl à été lâchement assassiné. Je n'étais pas là quand Mehdi, pour la première fois, désespéré et livré à lui même, à enfoncé une aiguille dans son bras et injecté dans son sang une dose d'héroïne. Non, je n'étais pas là. Pourtant tous ces gens, quand ils pleuraient, je les prenais dans mes bras et je garantissais que tout irai bien, puisque j'étais là. Je ne savais pas que quand les choses terribles arrivent, ce n'est jamais quand on est là.

"Regarde, il neige !"

Peuh ! La belle affaire. Je ne peux pas le voir... Cette pensée accentue à nouveau mes larmes, et je me blotti contre le tronc gelé de mon perchoir.

-Aeryn, personne n'est jamais là quand ça tourne au vinaigre pour de bon. La vie t'apprendra ça. Laisse moi s'il-te-plait. Laisse moi ressasser les secrets du passé et oublier un instant que ce que j'ai connu ne reviendra pas.

Ma voix, bien qu'encore hachée de sanglots, s'est faite plus sèche. Je ne veux pas m'épancher à ce propos avec elle. Je la connais trop peu. Et puis, mon passé et mes illusions ne regardent que moi. Si je m'isole pour me plonger dans mes souvenirs et qu'ils me font pleurer, c'est mon affaire. Je sais qu'ils me rendent faibles, alors je me cache. Ce n'est pas par hasard. Alors qu'on me laisse...

"Aeryn, personne n'est jamais là quand ça tourne au vinaigre pour de bon. La vie t'apprendra ça. Laisse moi s'il-te-plait. Laisse moi ressasser les secrets du passé et oublier un instant que ce que j'ai connu ne reviendra pas."

Je le lâchai et m'asseyais à côté de lui, sans le quitter du regard. J'étais bien placé pour savoir qu'il avait raison, quand Lydia partie à la fin de la primaire, je me suis retrouvée seule, sans personne à qui parler avant de rencontrer Hasan et Hive. Durant trois ans, j'avais été entièrement seule et même aujourd'hui, je n'étais pas toujours avec eux et souvent, j'étais seule. La solitude me pesait à moi aussi.
Je le regardais. Il avait réussi à ma plomber le moral mais je n'étais pas dans le même état que lui, je pouvais donc toujours tenter de lui remonter le moral.

"Je sais, je suis moi aussi bien placé pour savoir que dans la vie, la solitude est constante, oppressante. C'est pour cela qu'il est si bon d'avoir quelqu'un à ses côté quand c'est possible, il est possible que plus tard, ce ne soit plus le qu'à. J'ignore ce qui t'est arrivé mais je veux que tu saches que quoi qu'il arrive, je serais là. Je suis toujours là pour mes amis."

Mon regard était à présent porté vers le lointain, observant les flocons se poser petit à petit sur le sol, agrandissant encore la hauteur du ce tapis blanc qui enveloppait la ville. Puis je baissai les yeux et remarquai qu'Hive était aux pieds de l'arbre. Étrangement, la hauteur ne me faisait rien et je supposais que c'était parce que j'étais trop perdue dans mes pensées pour me préoccuper de mon vertige. Je descendis calmement, attrapai l'ocelot et remontai dans l'arbre. Rien au monde ne me séparerait jamais de mon familier, pas même la perte de mémoire. Nous sommes liés éternellement et c'est pour cela que plus jamais je ne serais livrée à moi-même.