2001. Tarek.

"Allez, écartes les.
-NON !"
Choc.
"Ce n'était pas une demande. Écartes les maintenant."
Je sanglote, et ouvre lentement les jambes face à l'homme qui me broie les poignets entre ses doigts. Je suis pitoyable. Je n'ai même pas lutté quand il m'a attaché au lit, je ne me débat pas alors qu'il fraie son chemin entre mes chairs, je me contente de me taire. Par un bruit, pas un souffle. Comme si j'étais mort. Lui, il gémi et il grogne, il est content je pense. Moi, j'ai froid, j'ai mal. Qui viendra me sauver ?

2001. Tiernan.

"Allez, écartes toi !
-NON !
-Ne soit pas stupide Tiernan écartes toi !
-NOOOON !!"
Mon père saisi mon épaule avec force, et me tire loin du cercle de policiers. Sur la neige, une fleur rouge grandit. Mutilé, mon frère jumeau gît là. Dans mes yeux, l'image de son corps reste imprimée, et une musique atrocement triste résonne dans ma tête. Je me débat, je crie, je supplie. C'est impossible. Pas lui. Ça ne peut pas arriver. La vie ne sépare pas le jumeaux, pas vrai ? Pas vrai ?!

Debout dans mes vêtements noirs, des larmes silencieuses coulent sur mes joues. Pour la première fois, je me sens seul. Je ne connaissais pas ce sentiment de vide. Voilà donc pourquoi Mehdi est si calme, si triste cette année. Où es Tarek ? Pourquoi il n'est pas avec nous ce Noël ? Et pourquoi papa et maman sont ils si tristes ? Pourquoi on ne peut plus dire son nom ? Est-ce que lui, il va revenir ? Erwan ne reviendra pas. Je le sais, mon chat n'est pas revenu après que la voiture de papa l'ai heurté. Et quand le poney de ma sœur est devenu tout raide, il y a deux ans, personne n'a pu le réveiller... Maman a dit que c'était l'âge. Mais mon frère, il n'était pas vieux, si ? Et sous cette stèle noire comme la nuit devant laquelle je pleure, déchiré, il va disparaître. Maman presse gentiment mon épaule alors que le prêtre récite une prière en latin, je serre ma croix entre mes doigts, et regarde le cercueil dans lequel reposera toujours mon frère descendre dans le trou profond du cimetière de la ville. Mes sanglots reviennent, je peine à respirer, et je pousse des cris étouffés et hystériques comme dit Awen. Aujourd'hui, elle est gentille Awen. Elle pleure elle aussi. Tout le monde pleure. Tout le monde jette une poignée de terre dans le trou et se signe. Sauf moi. Le curé me lance un regard courroucé, mais papa lui chuchote quelque chose et ses yeux deviennent doux et tristes, il bouge sa tête et me regardes avec un drôle d'air. J'ai l'impression d'être un objet en cristal comme ceux de maman qu'il ne faut pas toucher et protéger. Je cache mon visage sur la poitrine de maman, et sent qu'elle m'emmène loin d e la stèle et du trou dans la terre. Je m'en fiche je reviendrais quand y aura personne.

2006. Tarek.

J'ai chaud, très chaud. Je cours dans les sentiers où les infirmiers ont décidé de nous emmener en vacances. Je ne vois rien, mais le choc produit par mes pieds sur la terre m'aide à me diriger. Les sons sont particulièrement aidants aussi. Je suis différent de l'enfant qui a passé les grands portails de l'asile en il y a six ans. Je saute comme un chamois de rocher en rocher, riant d'entendre mes infirmiers me hurler de revenir parce que je vais me faire mal. Pas plus mal que quand j'entre dans le bureau du psy bande de singes ! Je m'enfuis de plus belle, ravi, parce que je sais parfaitement où nous sommes. Et je ne suis pas prêt de les laisser me rattraper. C'est là que je heurte quelqu'un.

2006. Tiernan.

Il fait une chaleur infernale cet après midi. Mère dit que mon frère revient bientôt. Mais ce n'est pas celui que je voudrais vraiment voir revenir... En plus, je ne sais pas si je le reconnaîtrais si je le croisait. Et... Outch ! Qu'est-ce qui m'est tombé dessus ?! Ça fait mal !

2006. Tarek et Tiernan.

Tiernan, quatorze ans, fixa l'enfant qui venait de le percuter de plein fouet s'ébrouer à la manière d'un animal et frotter son nez nerveusement, une moue vexée aux lèvres. Le garçon portait un genre d'uniforme, blanc et ample, fermé par une ceinture bleue pâle et brodée à la gauche de la poitrine d'un H, un M et un L entrelacés. Le grand roux haussa un sourcil, surpris, et détailla le physique fin et frêle de celui qui lui avait pourtant fait bien mal en le percutant.
"Qu'est-ce que tu fais là tout seul, toi ? C'est dangereux et- han ! Ton visage !!"
Le nez retroussé et couvert de taches de rousseur du gamin se retroussa avec un air d'énervement, et il cacha les marques de son visage derrière son bras.
"Désolédet'avoirbousculé ! Excusemoijedoisfilerilsvontm'attrapersinon !
-Hey ! Pas si vite, reviens ici !
-Mais non euh !! Lâches moi ! Je veux pas voir les infirmiers !
-Quoi ? Tu sors d'un hopital ?
-Nan, d'un asile psychiatrique, maintenant lâches moi !
-D'un a... Attends voir... Mais... Tarek ?"
L'enfant ouvrit des yeux comme des soucoupes à l'entente de son prénom, cessa de se débattre instantanément et bougonna.
"Comment tu connais mon nom, toi ?"
Tiernan n'en croyait pas ses yeux. Il retourna le jeune garçon et le détailla une nouvelle fois, stupéfait.
"Mais tu devrais être bien plus grand !!
-C'est à cause de la gym. Mais t'es qui au juste ? Pourquoi tu sais comment je m'appelle ?
-Mais enfin, tu ne me reconnais pas ? J'ai pas changé à ce point si ?
-Bah j'en sais rien, moi !
Cette fois, il avait l'air franchement énervé. Il agita sa main devant ses yeux en signe d'impuissance et claqua sa langue contre son palais avec agacement. Tiernan, stupéfait, ouvrit la bouche pour s'excuser, mais l'enfant avait déjà bondit hors de sa portée et loin de lui, silencieux et à l'aise, comme un chat...