Enfance, Milwaukee
Tarek est naquit un jour d'orage, un matin ou la chaleur chargée de rosée jouait les régisseurs en illuminant le ciel. Alors qu'il poussait son premier cri, sa mère s'efforçait de donner la vie à son frère jumeau, Mehdi. Hors de la chambre, Tan, âgé de dix ans, serrait contre lui sa soeur Awen, six ans, et ses frères Tiernan et Erwan, deux ans. Il comprenait ce qui se passait, mais les deux plus jeunes étaient terrifiés par les cris provenant de la chambre de leurs parents. Tarek ouvrit ses yeux verts, plissa le nez de côté et agita ses petits poings vers M.Thompson. Mehdi tétait. La moitié de la famille Thompson avait vu le jour.
A trois ans, Tarek se révéla être un enfant rêveur, doux mais anormalement conscient de l'attention qu'on lui portait. Capable des manipulations les plus poussées, il menait son monde par le bout du nez, seulement dominé par son jumeau, plus énergique que lui et se moquant de la sensibilité de son double. Le petit garçon développa un véritable don avec les animaux, fasciné par leurs souffrances et très attachés à panser leurs blessures profondes, comprenant leurs peurs et leurs secrets. Ses parents, Roi et Reine de peuple Gardien Sylvis, décidèrent rapidement qu'il serait leur héritier. Il savait faire fleurir ou faner les champs, dompter les créatures sauvages et leur murmurer des choses dans une langue oubliée. À l'école, il obtenait d'excellentes notes et se faisaient des amis en un tourne main. L'un d'entre eux, le jeune Mathieu Alaric, lui tenait particulièrement à coeur. Son meilleur ami. Il lui disait tout, partageait tous ses secrets avec lui et l'aidait à se forger un caractère hors de sa bulle protectrice. Pour rien au monde il ne se serait séparé de lui. Mais les choses n'avaient pas l'intention d'offrir à Tarek l'enfance de joie et d'abondance qui semblait pourtant toute tracée pour lui.
Une semaine après ses six ans, Tarek invita Mathieu chez sa tante pour jouer. Dans le verger, son jumeau s'amusait à grimper aux arbres et se moquait de son vertige en riant. Mathieu était allé boire dans la maison. Peiné, l'enfant s'était allongé à plat ventre dans l'herbe haute et boudait, le menton posé dans ses paumes et ses coudes au sol. Il regardait danser les paillons, et s'efforçait d'ignorer la voix narquoise de son frère, quand son bébé puma, appelé, Télys, bondit devant lui et s'y allongea. Dos à lui, il agitait le bout noir de sa queue, cachant les papillons. tarek soupira, excédé, et vit son ami revenir de la maison, un sourire complice aux lèvres et les yeux tournés vers Mehdi. Le rouquin comprit qu'il en allait d'un mauvais tour, tira violemment la queue du fauve pour se venger et amorça son mouvement pour se relever. Tout arriva en un instant. Le félin, surpris et blessé, se retourna vivement et ses griffes atteignirent le visage de son maitre. La vision de l'enfant vacilla, se troubla un peu, tourna au rouge puis au noir total. Il y eut un instant de flottement, Tarek retenant son souffle, son coeur cognant contre ses côtes. Et il hurla. Un long cri, perçant, désespéré, alors qu'il assimilait finalement la douleur lancinante sous ses paupières et la sensation du sang épais coulant sur son visage, et le noir, le noir terrifiant, promesse de souffrances à venir...
Enfance, Sainte Marie des Lys
Tarek resta six mois encore à Milwaukee. Ses parents, inquiets, l'enfermèrent dans sa chambre et déclarèrent publiquement que leur jeune fils était dans le Vermont. Ils refoulèrent le petit Alaric, interceptèrent ses lettres que leur enfant, aveugle, ne pouvait lire. Il lui dirent que son ami n'était pas venu pour le voir. Fragilisé, isolé, apeuré, l'enfant commença à développer des comportements étranges. Agressif, mutique, il fixait ses yeux aveugles sur le parc, vers le portail, espérant. Puisqu'il est dans le noir, seul, il se sent prisonnier. Il a l'impression d'être figé dans le temps, au bord de la route du néant, et que plus rien ne rime. Et un jour, prit d'une crise de rage, il étrangle à mains nues les malamutes d'Alaska de sa soeur Awen. C'en est trop pour sa mère. Layla Thompson, dépassée, trop occupée par sa fille de trois ans, Kathleen, fait appel à un hôpital psychiatrique. C'est un geste désespéré, elle le sait, mais elle est fatiguée. Alors ils viennent le prendre.
La camionnette s'avance sur le chemin de terre blanche, et s'arrête devant la jolie rousse et le garçon qui tente de voir autour de lui, encore inaccoutumé à ne pas voir. Il sursaute au contact d'une grosse main sur son épaule, puis de chaines passées à ses poignets. Sa mère renifle, retenant ses larmes. Il comprend que quelque chose cloche, et résiste. Mais très vite, les portes claquent sur lui et ses hurlements pleins de désespoir. Il entend son père crier sur sa mère, et se jette sur les portes arrière, bras en avant, hurlant comme un animal blessé. Il lutte longtemps, fou de douleur mais les deux infirmiers s'en contre fichent. Ils ont l'habitude. Le véhicule se gare dans une cour sinistre, devant un vieux bâtiment et le portail est fermé d'un gros cadenas. Les portières s'ouvrent, et l'enfant aux bras ensanglantés d'avoir trop frappé sur les portes plante ses dents avec rage dans le bras de l'homme qui avançait son bras vers lui. Son collègue tire le rouquin en arrière, et le directeur hausse un sourcil.
"Un problème messieurs ? -Un vrai petit fauve, patron.-Hun. Plus pour longtemps mon petit..."Il relève le visage du garçon pour le regarder, et l'enfant mord ses doigts, sectionnant les nerfs et la peau. Il le gifle, fort, mais le petit ne crie pas. Un regard furibond rebondi du directeur au bâtiment, et il gronde alors qu'on l'entraine vers l'intérieur, et sa cellule d'isolement. L'infirmier mordu au bras aura onze points de suture.
Les années passent, lentes, douloureuses. D'abord, les médecins découvrent la couleur étrange du sang du jeune patient. Puis ils jouent à faire des expériences sur ses yeux aveugles. Les pieds et les poignets dans les étriers, mordant dans son bâillon de tissu, il transpire et prie, pour sortir de cet enfer. Un jour, après deux ans à mordre, griffer, essayer de tuer quiconque l'approche, on le traine dans le bureau du psychiatre pour enfant. À peine entré, il sent une atmosphère bizarre et ses cheveux se hérissent sur sa nuque. Il gronde, furieux, méfiant.
"Tarek. Regardes toi, un si joli petit garçon... Pourquoi joues tu les bêtes sauvages ?"La voix caressante du médecin pousse le rouquin à se mettre dans une position défensive et il souffle un mot, dans sa langue, très bas.
"Pardon ?-Je n'ai rien dit."L'homme émet un soupir satisfait, et s'approche. Dans son ventre, Tarek sent un froid se répandre et il se retrouve pétrifié de terreur, l'odeur étrange du psychiatre faisant sonner une alarme ans sa tête. Tout arrive très vite. Il n'a pas de mot pour ce qui lui arrive, pas de mots à mettre sur la douleur qui lancine le bas de son dos, le dégoût et le sentiment d'être profané qu'il ressent. Il a supplié d'abord, et puis il a serré ses dents et décidé qu'il ne se laisserai pas aller à hurler. Il va leur montrer. Il leur fera payer, et il ressortira d'ici la tête haute.
"Tu ne diras jamais rien à qui que ce soit à ce propos, d'accord Tarek bébé ? Et si on te dis que c'est mal, ne les écoute pas. Il n'y a rien de mal à aimer une personne de cette façon. D'accord ?" Blessé, terrorisé et fou de honte, Tarek hoche doucement sa tête, la joue marquée par un coup, les yeux baissés. A-t-il un autre choix de toute façon ?
Tarek a onze ans. Il sait qu'il a une soeur de quatre ans, Ciàran, et que son frère ainé Erwan est mort dans des circonstances bizarres. Il sait qu'il a quelque chose de différent des autres, il ne se sent pas humain. Il tourne en rond dans sa cellule, les reins enflammés par les viols répétés qu'il subit. Maintenant il sait ce qu'on lui a fait. Et il a peur. Mais il espère. Un spécialiste vient, et peut être les choses vont elles changer.
Le bloc opératoire rouvre ses portes. Le chirurgien sort, essuyant ses mains devenues moites sous le latex des gants, et fait un signe de tête à l'infirmière qui s'occupe de l'enfant qu'il vient d'opérer et la jeune femme aux cheveux blonds qui s'est liée d'amitié avec lui. On transfère le roux dans sa chambre, et envoie dans son sang un somnifère qui le fera dormir jusqu'au lendemain. Seul son réveil pourra dire si l'intervention est uns succès.
Tarek ouvre les yeux, et les referme aussitôt. Ça fait mal. Il entrouvre ses paupières plus doucement, et puis en grand, les yeux ronds, bondissants de tous côtés. Il se redresse brusquement, et un frisson secoue sa colonne vertébrale. C'est peu, très peu, il y voit à peine et dans des tons de noirs et gris, mais il la voit.Il se dit qu'il n'est peut être qu'un, personne, avec sa peine pour royaume, au moins il la voit. Cette lumière entre les barreaux, la clarté du ciel. Et il se demande si, loin là bas dans sa ville, son vieil ami entend sa voix résonne, S.O.S porté porté par le vent.
Pré-adolescence, le retour en ville, à la vie.
Maintenant, Tarek sait se diriger sans problème grâce aux sons et aux vibrations du sol. Il bondit sans cesse derrière les chevaux de l'élevage, son familier se coulant près de lui. Souvent, en vacances dans le ranch de ses grands parents maternels, il s'enfuit en montagne et se peint d'ocre sur le torse et les joues, rampe avec les pumas, grimpe avec les écureuils et galope avec les chevaux sauvages. Il est prince sylvain, et il est en formation pour devenir le Gardien des Secrets de la forêt. Mais la vie n'est pas rose.
Tarek est un jeune garçon trop féminin, un garçon timide à la voix chantante, qui aime danser et jouer avec les oiseaux. Aux yeux des autres garçons de sa famille et de ses oncles, c'est un enfant dérangeant. Il est différent, bourré de médicaments en prévention de crises de rage, toujours un peu absent. Il a tout pour se faire apprécier mais il fait l'inverse. Alors que ses parents décident de l'inscrire au collège artistique pour adolescents à problèmes de Munch School, tout bascule. Tarek devient punk, ses cheveux rasés d'un côté et les autres dressés sur le haut et le côté. Il se fait piercer, tatouer en cachette. Il maquille ses yeux de noir, devient plus étrange qu'à son retour de l'hôpital. Souvent, ses yeux lourd de signification se posent sur un camarade et il lèche doucement sa lèvre inférieure. À la maison, les disputes éclatent. Il se demande souvent où est Mathieu Alaric, comment il va, s'il se souvient de lui mais il n'en parle pas. Il veut devenir quelqu'un d'autre que l'enfant charismatique qu'il était quand il est parti. Il veut savoir si d'autres le désirent comme le désirait James Mason.
Il rencontre Amarok à la fin de sa classe de cinquième. Il sait que c'est un garçon cruel. Pourtant il l'a choisi. Il sent que ce garçon veut ce genre de choses de sa part. Alors il se donne. Il ne le sait, mais il ne fera jamais demi tour.
Il souffle sur ses treize bougies. Un petit sourire satisfait étire ses lèvres, mais une douleur profonde brille dans ses yeux posés sur ses cousins et son frère jumeau. Il ne leur pardonnera jamais. Mehdi, mal à l'aise, se dandine sur sa chaise. Il sait qu'il n'aurait pas du abuser de son frère, l'humilier ainsi, mais sur le moment il ne se sentait pas coupable. Il sent la haine irradier de son jumeau. Et il se demande ce qu'il a fait, et les conséquences de son geste.
Dans la ruelle sombre de la vieille ville, le jeune garçon attend. Finalement, aux alentours de minuit, un homme d'une trentaine d'année vient vers lui, mal à l'aise. Il ouvre et referme plusieurs fois la bouche avant de parler.
"C'est toi Tarek Thompson ?-Ouais.-Hm, bon. Alors euh... Viens. On va régler les détails. Quel âge tu as ?-C'pas vos oignons.-Comme tu voudras. Et pourquoi tu veux..-Che. Qu'est-ce ça peut vous foutre ? C'mon cul pas l'votre."L'homme soupire. Après tout ce petit a raison, ça ne le regarde pas. S'il veut se vendre, ça le regarde. C'est simplement bizarre de la part d'un jeune garçon aussi riche. Si ce n'est pour l'argent, quelle sorte de désespoir peut bien le pousser à un tel geste ? En ville, on murmure des histoires de viol, de tribunal. Mais, ça ne le regarde pas. Alors il laisse l'adolescent signer le contrat, et le laisse entrer dans la petite maison close underground cachée dans la vieille ville. Et quand, quelques minutes plus tard, l'enfant entre sur scène dans un costume oriental, ondulant et provoquant une réaction non dissimulée chez tous les hommes présents, il sait qu'il ne regrettera pas d'avoir accepté d'exploiter la souffrance de ce petit dont le regard pénétrant semble brûler l'âme des clients.
Le lycée
Maintenant Tarek sait ce qu'est devenu son ami d'enfance. Quaterback dans le beau lycée Saint Roddington HighSchool, en couple avec la belle capitaine des Cheerleaders Lydia Johanson, c'est un homophobe et raciste de première, qui entreprend vite de lui pourrir la vie. Oui, il est homo, roux et baba cool, artiste, et il assume pleinement toutes les facettes de lui même. Le jour il joue l'indifférence face aux insultes et aux coups des garçons populaires, la nuit il livre son corps à des hommes étranges et angoissant pour de l'argent qu'il ne dépense pas, et dont il n'a pas besoin. Il croit être amoureux de son ami enfance, il croit aimer son petit ami Aèl Targison, mais tout ça n'est qu'illusion. Il hurle en lui, il se débat, il rêve de se libérer et de voir la lumière bleue du ciel et pas de simples ombres abstraites. Quand, après huit mois de relation, son petit ami est assassiné sur un champ de bataille, quelque chose en lui se brise. Et même sa seconde opération oculaire, qui lui rend la vue grâce à une transplantation d'yeux d'aigle innovée par sa chaman de mère, il reste furieux. Il couche, encore, et joue à manipuler les garçons qu'il veut dans son lit. Il a mal. Parce qu'il n'aime personne. Il se hait, alors pour se punir, il se profane plus loin, plus fort. Ses yeux dorés reflètent un mal être croissant. Il découvre qu'il est le fils bâtard d'un elfe, que sa mère voyait en secret. Il n'a pas de sang royal de l'ancienne famille D'Aliava. Il apprend à créer des animaux vivants à partir de rien, à prendre la forme des bêtes. Et il est transformé en loup garou, à la solde du Roi Luis. Le monde sombre peu à peu dans le sang. Il passe des heures, parfois, à galoper en ruant, à fuir son ombre un hurlement muet grondant dans sa poitrine. Il fuit son égo. Il est loin, très loin du jardin d'Eden, dans l'éternelle réalité. Et le seul combat en lequel il croit, c'est contre lui. Mais il ne peut pas gagner seul.