La nuit est tombée. Devant mes yeux défile le monde. Je perçois les choses par flashs, au ralenti. Mes écouteurs dans les oreilles, je vois des dizaines de choses imaginaires. Mes jambes pèsent lourd, l'asphalte sous mes semelles est dur. Les lumières de phares, de lampadaires et de cigarettes dansent autour de moi. Je lève la tête vers le ciel rougi par la ville illuminée et traîne les pieds dans l'eau qui s'est logée sur les trottoirs et capture les reflets jaunes des phares.
Je pousse la porte d'un bar, lentement, et entre en relevant un peu le nez du sol. mon sweater tombe un peu sur mes épaules. Je m'avance vers le barman, m'accoude sur le bois brun et lisse d'un mouvement langoureux dont j'ai le secret. Un whisky scotch, s'il vous plaît. Non, pas de glaçon. et si tu me regarde comme ça une seconde de plus je te met mon poing dans le pif 'ricain. Je jette un coup d'oeil sur le mur ; cigarette autorisée à l'intérieur. J'extirpe mon briquet de ma poche, et allume le bout de mon poison quotidien. Je souffle lentement la fumée, fasciné par le blanc casé qui se fait transpercer par la lumière des ampoules. Je laisse mon esprit vagabonder, plus loin là en haut, à Montréal. Je me demande ce que font mes amis, mon frère. Sans doute qu'il s'occupe de sa garce de copine.
Je quitte mon pull, ajuste le col en V de mon haut de cachemire jaune pâle. Je crois que j'ai aucune fringue qui me va mal. Je suis une bombe, ce n'est pas du narcissicisme c'est vrai. Je ne connais personne qui ait su me résister, je suis un as de l'art de séduire. Les yeux bruns chocolat, les cheveux tirant à peine sur l'auburn, je ne suis pas à proprement parler un beau garçon. Je pourrais même dire que je suis M.Toutlemonde. Mais ce serait sans compter sur ce charme, cette aura qui flotte autour de moi ; mon sourire, mes mimiques. Mon accent léger aussi. je sais que je les fais toutes fondre. Ce n'est pas pour me déplaire, mais je m'en fiche au fond. J'écoute Dalida et Renée Martel, parfois Brassens. Oui, je suis différent, j'entretiens ça. Je suis moi.
La fumée de cigarette est belle et sens bon.
Il y a peu de monde dans ce bar. Quelques jolies fille, une qui n'a pas l'air commode. Un type assez chou qui semble vouloir plonger dans sa vodka orange. J'attrappe mon verre de whisky sec numéro deux, avale une gorgée brulante. Ma langue passe lentement entre mes lèvres, mes dents capturent celle du bas un instant, glissant sur l'épaisseur avant de retourner gentiment derrière la barrière rose pâle de ma bouche. Ma tête penche et pivote sur ma nuque, la gorge levée. Je joue avec le bout de ma manche, la cigarette coincée entre l'index et le majeur. Je la lance parfois un peu vers le haut pour faire tomber la cendre. Je ne rentrerais pas seul ce soir, c'est hors de question. Mais ce n'est pas moi qui irait aborder. A moins qu'on m'aguiche un peu, mais dans l'instant, le seul allumeur de l'endroit, c'est moi. Et qui pourrait dire que je ne suis pas séduisant si ce n'est un aveugle ?
Audacieux à vos marques...