Il fait nuit, il fait trop chaud dans la maison, Oolachan couine, Enis bougonne depuis des heures. Un glouton a tué deux vaches et un poulain la nuit dernière. Il va prendre le premier tour, et ça l'fais chier. En même temps c'est lui qui l'a décidé alors sérieusement il ferait mieux d'la boucler m'enfin bon. C'lui l'patron moi j'la ferme. Bref, il fait nuit, il termine de rassembler ses affaires, enfile ses bottes et sort seller son cheval. Il ne sera pas là avant demain, aux alentours de huit heures, et moi je suis chargé de faire en sorte que le petit déjeuner soit prêt à son retour. Franchement...

Je fini la vaisselle, range tout dans les placards, fais sortir le loup et file dans la salle de bain. Jamais je n'ai autant apprécier de prendre ma douche que depuis mon arrivée dans le Montana. Décoller la poussière et la sueur de ma peau, l'odeur bestiale de mes cheveux, laisser l'eau chaude délier et soulager mes muscles. Je lave ma tête longtemps, décontracté, faisant mousser le shampooing dans mes boucles trempées. La vapeur se colle partout. Je masse ma nuque, mes épaules, mes tempes en lâchant de petits soupirs, enfin apaisé. Ici les journées sont éreintantes, et s'il n'y avait pas la douche d'après travail, on ne survivrait pas une semaine ! Je coupe l'eau, passe mes paumes sur mes cheveux alourdis pour les essorer et me coule hors de la cabine de douche. Mes mèches sont assombries par l'eau, et des gouttes longent ma colonne vertébrale creusée entre mes muscles jusqu'à mes reins. Je noue une serviette autour de ma taille et sors de la salle de bain en frottant mes cheveux vigoureusement avec une deuxième, trainant dans le salon, la radio allumée sur du Shakira, une cigarette coincée au coin des lèvres. Les flammes qui ronflent dans le cheminée sèchent ma peau, me rappelant une autre soirée du Montana, le week end avec Matt... Je laisse reposer l'éponge sur mes épaules, tire sur la clope et souffle la fumée dans un long soupir, allongé sur le tapis en fourrure de lynx, le nez dans un livre et ma main tenant la clope servant de support à ma tête. Je fume longtemps, jusqu'à ce qu'une sensation bizarre d'être observé me tire de mes pensées. Je ferme le bouquin d'un coup sec, et renifle. Il flotte dans l'air une étrange odeur de cadavre. Révulsé, je fronce le nez et les sourcils. Je me redresse, file enfiler un boxer et un sarrouel et écoute attentivement. C'est trop bizarre. J'aurais pourtant juré..-

HA !

Je sursaute, brûlé par le froid des bras qui viennent d'encercler ma taille et cherche à m'en défaire. Les avants bras de jenesaisqui sont sous mes aisselles, et remontent pour que les mains agrippent mes épaules, m'empêchant de me débattre. Je connais ça... C'était quelque chose que faisais...

Le vent gelé de l'hiver qui s'éloigne peu à peu soulève mes cheveux comme des pans de tissu bruns, y accrochant du gel. Mes lèvres n'exhalent aucune buée, et ma peau reste immobile et froide. J'entends courir les loups dans les bois, et les vaches se serrer les unes contre les autres. Le vacher les surveille étroitement, et je me coule plus près de la maison de bois illuminée, discret comme un lynx, empli de l'odeur apaisante mélangée de cigarette du prince sylvain. Le loup m'a déjà repéré depuis longtemps, mais son maitre semble indifférent à ses couinements effrayés. Les bêtes ne comprennent pas pourquoi l'odeur d'un corps mort se déplace. Je pose mes yeux sur le corps presque entièrement nu de mon ex petit ami, et avale ma salive. Je suis le chemin de l'eau dans sa nuque, le mouvement de sa poitrine quand il respire, de ses jambes qui se balancent légèrement au dessus de sa tête. La fumée qui s'échappe de temps à autre de ses lèvres rouges me fascine, et ses paupières qui s'ouvrent et se ferment paisiblement. Il est tellement beau là, alangui sur le tapis, sa peau caressée par la chaleur des flammes et son léger sourire rêveur, que ça m'en fait mal au ventre. À quoi je pensais quand j'ai décidé de partir me faire massacrer plutôt que de rester blotti dans ses bras à écouter ses mots me bercer ? J'aurais pu être tellement comblé...

Le charme est rompu. Il lève ses yeux -dorés ?!- et scrute la pièce, les sourcils et son petit nez froncés, ses lèvres à peine entrouvertes. Il disparait dans un autre coin de la maison, et je bondis souplement près de sa chambre pour m'y engouffrer en silence et m'y cacher une seconde avant qu'il ouvre la porte pour s'habiller un peu. J'avale ma salive à la vue de son corps dévoilé, et si j'avais un coeur en état de marche je serais à bout de souffle en ce moment. Pourquoi l'euphorie des premiers jours ne revient elle jamais ?

Je ne peux plus résister. Je me glisse derrière lui, silencieux, et emprisonne son torse nu entre mes bras, le nez contre sa nuque. Rien que ça et je me sens déjà dévoré par le désir. Je pourrais tout donner, tout faire pour lui. Il n'a pas le droit de me rejeter.

Bonsoir mon prince...

La voix chaude caresse ma peau, et un frisson agite mon corps. Pendant un instant, je ne peux plus respirer et mon coeur me fait mal. Je cherche l'air, immobile, et s'il ne me tenait pas je serais sans doute tombé dans les pommes. Mais une fois que ma tête cesse de tourner, une douleur sauvage s'empare de moi. Je sursaute, et me dégage vivement de sa prise, les yeux fous. Je ne peux pas y croire. Je me retourne, tremblant, et croise un regard bleu électrique sous des cheveux noirs comme les ailes des corneilles. Je vais le tuer. Le retuer. Ou je n'sais pas ce que j'dois dire mais je vais le..

Toi... Toi... Je vais te tuer. Je..

Je sais pourquoi il est là. Je tremble de rage, la main en suspens, le son de ma main sur sa peau résonnant à mes oreilles. C'est comme un raz de marée, quelque chose qui se brise dans ma tête, et je frappe son torse de toutes mes forces. Je pleure, pourtant c'est la rage qui ressort de mes cris. Je dis des choses stupides, je hurle, je jette des choses à travers ma chambre. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je le déteste. Mais pas autant que prévu. Je veux lui faire mal, très mal, pourtant il y a une toute petite parcelle de mon coeur qui s'est réchauffée quand sa voix à glisser sur ma nuque, un tout petit je ne sais quoi qui me prouve que je ne me suis pas encore complètement sevré de lui. Et ça me tue. Quand ses doigts emprisonnent mes poignets pour m'attirer contre lui, je ne trouve pas la force de le repousser. Je pense à Matt, et mes larmes redoublent, silencieuses mais épaisses. Il n'avait pas à venir. Je veux qu'il me laisse partir. S'il m'aime, c'est la seule chose qu'il peut faire pour me faire plaisir. Accepter de me laisser en paix, et disparaitre de ma vie. Je ne veux plus être avec lui, je veux être avec Matt. Lui n'est plus ce qu'il a été pour moi, ce n'est qu'un souvenir. J'enlace mes doigts aux siens, un peu plus calme. J'aimerais entendre battre un coeur derrière sa chair, mais...

Va-t-en Aèl... Si tu m'aimes encore, si tu m'as même aimé sincèrement un jour... Laisse moi partir. Lâche l'affaire.