Mes talons claquent férocement sur le sol de pierre noire. Sur mon passage, les filles s'inclinent imperceptiblement et les créatures se terrent dans l'ombre. Tac ! tac! tac! tac! Je m'arrête. Au fond de sa cellule, un puma roux aux yeux de miel me fixe d'un oeil mauvais. Elis d'Aliava dit, Diwel. Diwel mes fesses, s'il était comme le vent, il ne serait pas enfermé ici. Mais je dois avouer que ça m'embête un peu de devoir faire subir mon travail à ce petit, c'était un ami fut un temps. Je claque des doigts, et quatre de mes filles se ruent dans la petite pièce humide et plaquent la bête par terre. Je fait volte face, et elles enroulent des chaines autour de son corps et de sa gueule pour le tirer derrière moi. Il tente de résister, mais ce n'est même pas la peine. Personne ne sort d'ici sans notre consentement.
La salle de torture est la plus grande de toutes, après la cour et la salle commune au milieu des cellules. Les gardiennes sont postées sur des miradors le long des murailles de douze mètres de haut des prisons, et cinq clôtures barbelés de même taille les entourent. Des chaines qui scellent la magie des prisonniers sont passés à leurs poignets et chevilles. Mais certains, comme Elis, parviennent à s'en servir par habitude d'avoir été scellés. J'ouvre la porte, et allume les torches pâles. Des outils de torture sont pendus partout autour du mur, et le prince ouvre d'immenses yeux dorés alors que l'on fixe des mousquetons aux boucles de ses fers. Les filles tirent sur les chaines. Forcé de reprendre forme humaine, le roux réprime un geignement et me lance un regard incompréhensif. Les chaines forcent, et le tire pour le suspendre en l'air, en étoile de mer, le ventre vers le sol. Il ne dit rien. Mais je sais bien à quel point il se sent vulnérable là tout de suite. Parce qu'il laisse sa double personnalité prendre le contrôle. Et tant mieux. Le brun tente de forcer ses liens, me regarder d'un oeil furibond, et je m'approche pour l'examiner. Les cheveux noir corbeau, les yeux d'or fendus d'une pupille reptilienne et un tatouage d'encre noire aux traits géométriques entrecroisés sur toute la partie droite du corps et du visage. C'est carrément un démon, une entité possessive qui a profité de la faiblesse de cet enfant pour s'insinuer dans sa tête et se développer comme sa moitié. Il aurait fallu le détecter tout de suite. Aujourd'hui, l'un ne survit pas sans l'autre.
J'attrape son menton et relève sa tête. Immédiatement, alors que mes gants imprégnés de poison touche sa peau, les yeux du double deviennent noir profond et il feule. Son corps se tend, il se débat, et peu à peu l'or des yeux d'Elis envahissent ses propres iris. Un cri brisé résonne dans sa gorge et un signe complexe apparaît une seconde sur le front moucheté. Le démon se tiendra à carreau un petit moment. L'hybride souffle comme un boeuf maintenant, et me regarde faiblement, des larmes au coin des yeux. Oh, pauvre chou.
"Le jeu est simple petit prince. C'est un action ou vérité. Tu fais ce que je demande, ou tu me dis ce que je veux savoir. Tu comprends ?"
Le garçon hoche vivement la tête, et les filles détachent les chaines de ses chevilles du plafond. Elles tirent chacune de leur côté, le laissant à genoux, les cuisses écartées et les muscles raides. Il grimace, tire désespérément sur les chaines qui tiennent ses bras en l'air, constate que rien ne bougera et replante ses pupilles dans les miennes.
"T'veux savoir quoi ?!"
Aah. Là ça devient plus intéressant.
"Je veux savoir pour qui tu bosses, ce qu'on t'as demandé de faire, ce que comptent faire tes parents du trône sylvain, où tu veux disparaitre, pourquoi, avec qui, et où s'arrêtent tes capacités de la terre. Répond, et je ne répéterais pas."
Ca ne lui plait pas. Il feule, serre les dents, et crache qu'il ne dira rien. Bien, comme tu veux chéri.
Je m'approche avec un marteau et des clous, fait un signe de tête aux filles. Un instant plus tard, il est sur le dos, attachés à une table de bois taché de sang. Il ne comprend pas, il n'a pas vu ce que je tiens. Je pose une pointe au milieu de sa paume, savoure son mouvement vif pour voir ce que je fais, l'éclair d'horreur dans ses iris envoûtants et de douleur avant qu'il ne les ferme et rejette la tête en arrière pour hurler. Mon fils, présent, bat des mains au son déchirant qui ricoche contre les murs. J'enfonce un clou au creux de sa hanche gauche, et la ruade qu'il effectue par réflexe lui arrache un rugissement fou furieux. Il halète, jette un regard tueur à Shura qui rit maintenant comme si je l'avais emmené à Disney Land et puis un autre à moi. Sa voix rauque transperce tout le monde quand il daigne ouvrir la bouche.
"Je bosse pour Luis. Il voulait la mort de la Gardienne, et je vais fuir parce que je l'ai décidé ainsi. Plutôt me couper la langue avec les dents que de vous dire pourquoi ou qui. Mes parents donneront le trône à mon cousin Brodwil et je n'ai aucune idée de mes limites."
Je souris. C'est assez. J'arrache férocement les clous de sa chair, indifférente à son cri et son évanouissement quasi immédiat, et congédie les filles. Il est libre. Mais que je n'en entende plus parler. Mon fils a plus besoin de moi que ces imbéciles fauteurs de trouble !