Mon père m'a aujourd'hui confié la tache de m'occuper du zoo. Enfin, d'aller voir tous nos protégés -ce qui est long, très long, je vous assure- et de leur faire faire de l'exercice. Je lui ai donc promis de le faire, après mon entraînement de gymnastique et le travail de mise en selle avec le nouveau poulain. Et j'ai actuellement terminé tout ça, et me dirige vers le zoo. En passant par la cuisine, je repère la bonne odeur des aubergines frites que prépare ma mère pour le repas de midi, la complimente pour sa cuisine -en fait c'est une de mes recettes mais bon peu importe, elle est contente- et gagne le parc de la villa. Emperor m'attends, joliment harnaché de noir et les pattes bandées de blanc, des pâquerettes piquées dans la tresse serrée de son encolure. Le mois de mai est arrivé, enfin, et les fleurs s'épanouissent de partout sous mes yeux émerveillés. Je vis la vie à fond depuis que ma mère et ma sœur m'ont opéré, et je ne cesse de redécouvrir la splendeur d'un monde en lequel je ne croyais plus. Mes dessins ont prit une lumière et une beauté qu'ils n'avaient plus depuis de années, et je commence à savoir à nouveau rire vraiment, courir, sauter et pardonner les fautes du passé. Je retrouve celui que je suis vraiment, l'enfant aimable et tendre, bon envers ses pairs qu'a connu Mathieu. Je distancie.
J'enfourche mon étalon prestement, et le met au pas en direction du zoo. L'herbe verte ondule doucement sous l'effet de la brise d'été, et des insectes multicolores volettent en tous sens, joyeux eux aussi du retour du soleil et de la chaleur.
Dans le zoo, les visiteurs sont assez nombreux. Ce parc zoologique a été créé par mon père il y a un bon moment déjà, et personne n'a a payer pour entrer. Les visiteurs font des dons s'ils le souhaitent, sinon tant pis, et tout l'argent va à la commune ou l'entretien des bêtes et enclos. Emperor toise les crocodiles qui se prélassent dans leur enclos, près de l'eau verdâtre qu'ils affectionnent tant, la gueule ouverte en attente d'on ne sait quoi. Un peu plus loin, un troupeau de buffles s'adonne au toilettage quotidien que leur apportent les oiseaux, et des impalas fainéants toise les enfants qui jouent sur le terrain ludique, sautant sur l'amas de blocs de béton installé comme une petite montagne de gravats peints aux couleurs militaires. Une lubie de Rory...
J'aime bien venir au zoo. Il y a là toutes les espèces que l'on peut citer de mémoire, et plus même, sans compter les fauves qui sont dans un zoo particulier. Un éléphant d'Afrique se promène, nonchalant, au bord du petit étang de la plaine aménagée, et les enfants ont toujours le chic pour sauter dans le parc des chèvres naines qui réclament des câlins en pagaille. Les parents, ravis de voir les soigneurs surveiller leur progéniture, sirotent des cafés ou des rafraichissements en couvant les gosses d'un œil bienveillant. Il règne ici une harmonie constante, apaisante, aussi travailler toute la journée ici est toujours un grand plaisir. On a besoin de moi du côté des vivariums, tout d'abord, pour aider le vétérinaire à attraper le boa constrictor sans se faire tuer. En effet, il semblerait qu'il soit un peu maussade, aujourd'hui... L'énorme animal ondule dans son vivarium, menaçant, jusqu'à ce que je pose mes doigts sur sa peau froide, flatteur. Les humains ont décrété que j'avais un don avec les bêtes, comment leur dire que je suis simplement un esprit des bois et de la nature ? Ils ne me croiraient pas. Mais peu importe, le serpent se calme et se laisse faire, tranquille, avant de se rendormir gentiment.
Je quitte les lieux, reprends ma monture et ouvre la porte de l'enclos de verre à la clôture de quinze mètres de hauteur, la jungle où certains singes sont sécurisés, d'autres tout à fait en liberté, jouant parfois avec les gens qui ne les effraient par trop. Un adorable petit gibbon saute sur la croupe de mon cheval qui couche une oreille, puis vient s'enrouler autour de mes épaules et mon torse en mâchouillant un fruit. Décidément, c'est une belle journée. La seule chose qui manque, ce serait un peu de compagnie humaine...

Dans quelques jours c'est le mariage de mon oncle, et ma mère est de plus en plus tendue. Son petit frère qui se marie et c'est elle qui est stressée ! Certes, elle est en partie chargée de l'organisation, ce qui explique qu'elle tourne dans la maison comme une lionne en cage. Et comme si ça ne suffisait pas, elle me délègue une partie de son stress en me demandant d'aller chercher tout plein de choses à droite et à gauche pour que tout soit parfait. Pas que ça me gêne, mais bon parfois j'ai moi aussi du boulot et des choses à faire ! Évidemment, les lubies de dernières minutes de mon oncle n'arrangent pas la chose. Il a décrété il y a trois jours qu'il voulait se faire prendre en photo avec sa femme au zoo ! Du coup, me voilà chargée de m'y rendre pour arranger l'affaire. Qui il faut aller voir, je n'en ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que je vais devoir traverser cet espèce de quartier huppé en carton pâte où séjournent bon nombre de mes cheeeeers camarades de classe.
Ma mère, qui doit aussi aller chez le traiteur, me dépose en voiture à quelques pas du zoo. Il grouille de monde, et j'ai horreur du monde. Mais bon, il y a des animaux, et ça, j'aime bien. De plus en plus, j'en viens à me demander si je ne suis pas agoraphobe. Le simple fait de traverser l'entrée du zoo où les familles transitent telles des colonies de fourmis me met mal à l'aise.
Je cherche l'accueil. Après une queue de dix minutes, une espèce de maigrelette surmaquillée me répond qu'elle n'en sait pas plus que moi et me conseille d'aller directement voir la direction, autrement dit, aller frapper chez les Thompson... GE-NI-AL. Elle m'indique vaguement un chemin qui traverse le zoo et qui me permettrai d'arriver plus vite à la maison. Je n'ai pas compris grand chose, mais je la remercie poliment et me met "en route".
Plus j'avance et plus j'ai l'impression de n'aller nulle part. Cela fait déjà 15 minutes que je tourne dans ce zoo et toujours pas de maison Thompson ! Je m'assois sur un banc en soupirant et en essayant de me souvenir de ce que m'avait dit la femme de l'accueil. Autour de moi, singes et humains gambadent en harmonie. Le soleil tape, il y a très peu de vent. La journée est vraiment trop belle pour rentrer chez soi. Quand j'en aurai fini avec cette histoire de réservation, je ferai peut-être un tour !

Mais oui ! Les animaux ! Sur Terre, j'utilise tellement peu mes maigres pouvoirs ludtyviens (de peur qu'on me surprenne) que j'en viens à oublier qu'ils existent. Au lieu de tourner en rond, il y a longtemps que j'aurais pu demander mon chemin aux animaux. Je regarde alors fixement un des petits gibbons qui sautent dans tous les sens, afin de retenir son attention. Il finit par m'écouter. Mais notre curieux manège a eu un témoin. Le fils Thompson. Qui est dans mon lycée. Je ne l'avais pas vu. Il me regarde. Je le regarde. Je crois qu'il se pose des questions. Il va me prendre pour une dégénérée. Qu'est-ce que je vais faire !!