Nous n’étions pas placée depuis une minute au centre de la cavité qu’un noir profond nous entoura nous laissant simplement spectatrice de ce qui se passait par l’ouïe. Un lien nous unissait l’une à l’autre, je ne saurais dire quoi mais c’est comme si sa main dans la mienne nous rapprochait et nous permettait de mieux nous comprendre sans l’intervention de nos pouvoirs.

Le noir qui nous enveloppait semblait nous éloigner de la forêt d’où nous nous trouvions l’instant d’avant pour nous mener dans un Ailleurs inconnu, dans un autre monde qui nous changeait l’une l’autre.

Je sentais le poids de mes pieds avoir une plus grande importance qu’avant mon entrée, et presque en simultané une boule d’énergie bleu nuit sortie de mon ventre pour en former une seconde, blanche, au creux de l’union de nos mains. Tout se déroulait sans que pour autant je ne ressente rien, aucune souffrance. Mon visage était serein et la peur n’était pas présente car il y avait quelque chose d’indéfinissable, quelque chose qui n’est pas palpable mais qui se ressent qui était là. Sans savoir ce qu’il se passait j’avais confiance et je me sentais en sécurité.
Tout à coup un flash vint nous éblouir sans nous retirer cette incapacité à voir. « Pop ! » ; c’était un petit son bref mais qui marqua une rupture entre Ludtyvia et le Nouveau Monde que nous allions découvrir. Le temps paraissait long mais assez pour que je réfléchisse et pour que je puisse penser à tout ce qui venait de se passer. J’avais conscience que quelque chose de nouveau allait se présenter à Ethany et moi, que nous n’étions plus dans notre monde habituelle. D’ailleurs à bien réfléchir je savais qu’ici je ne m’appelais pas Alpha, je savais que je n’avais plus mon pouvoir. Tout cela me semblait comme une évidence et je ne saurais m’expliquer à moi-même par quelle manière j’ai eu connaissance de tout cela avec une certitude gigantesque.

Je me sentais légère et vidée de tous mes tourments ayant pu être présent sur Ludtyvia, mais deux interrogations s’imposèrent à moi me ruinant l’était dans lequel je me trouvais : « Comment m’appelais-je ? Qui étais-je ? »

Alors que j’étais encore étourdie par l’évènement qui venait de se dérouler, alors que je n’avais pas encore tous mes esprits bien en place je fis un pas, puis un autre. La main de mon amie était toujours dans la mienne, je la sentais près de moi.

Mes yeux étaient jusqu’alors clos, doucement je les ouvris pour voir une nature folle se présenter à moi et comme si mon odorat fonctionnait grâce à ma vue, je sentie au même moment un parfum d’herbe humide et de soleil réchauffant le paysage et rougeoyant les teintes bleues et vertes prédominantes dans ce monde.

Lentement, un sourire se dessina sur mon visage resté le même que sur Ludtyvia.

J’étais un peu perdue. C’est étrange ce que je vivais là, j’étais moi mais… Deux personnes passèrent devant nous, et en même temps que leur progression se faisait je ressentais comme une renaissance de souvenir se développant en moi. Et un prénom, une identité vint à moi, me percutant aussi fort qu’une voiture qui aurait foncé droit sur moi. Je ressentais alors dans mon cœur une présence se faire malgré l’absence et la solitude qui était là depuis si longtemps. Et cette présence semblait avoir un nom, comme si c’était une évidence : Emily. Une nouvelle fois je me senti percutée avec une nouvelle voiture arrivant droit sur moi à vive allure, ce prénom était comme en écho depuis toujours avec le mien ; Milly.

Un doux chuchotement me sorti vivement de mes pensées.

- Euh ... Je crois que nous ferions bien de cacher nos ailes ici. Si j'ai bien compris, nous sommes sur Terre et les humains, la plupart en tout cas, ne connaissent pas notre existence.

Elle n’avait pas tords. Je devinais que l’on utilisait le même procédé pour rapetisser nos ailes ; je me concentre pour réduire la taille de mes ailes et faire en sorte qu’elles soient cachées sous ma robe, et en même temps que se déroulait la réapparition de ces deux clochettes autour de ses poignets un petit tintement se fit entendre dans mes oreilles. Un minuscule pendentif était apparu sur la même chaine qui comportait déjà mon caillou de Lune et dessus était inscrit : « Milly ». Un sentiment naissant dans le fond de ma poitrine me fit prendre totalement conscience de sa signification, c’était un bijou que ma maman m’avait légué le jour de sa disparition…

Une fois ces petits évènements magiques passés, il me fallait parler. Je voulais savoir si Ethany aussi avait eu cette évidence qui c’était imposée à elle.

- Dis… Est-ce que tu as le sentiment, au fond de toi, d’avoir une autre identité, un autre prénom, une autre vie… ?

Le temps à sa réflexion m’avait paru tellement long. Et lorsque sa réponse retentit enfin, mon état été totalement changé. Je n’avais plus aucunes inquiétudes qui m’habitaient, toutes mes angoisses s’étaient envolées.

- Je me sens exactement pareil. Je sais juste que j'ai changé de nom. Ne me demande pas comment, je n'en ais aucune idée. Ca s'est juste imposé à moi comme une évidence. Sur Terre je me nomme Emily. Mais si tu me poses cette question, c'est que c'est ce que toi tu ressens... Je me sens proche de toi ici, comme si on était soeurs. Mais en même temps, quelque chose nous sépare. Tu as l'air d'avoir quelque chose qui t'appartient ici. Alors que moi je ne ressens aucune attache.

J’avais cependant été attentive dans ce qu’elle me dit, je pris à la fin de son flux de parole une aspiration de patience pour lui répondre sans excitation.

- Sur Terre, moi, je m’appelle Milly. Et j’ai la même sensation que toi…

Ce que je lui disais était bref et vraiment peu adapté pour calmer ses inquiétudes mais mon cœur s’emballait, mon corps avait envie de courir, de fouetter le vent à vive allure pour découvrir ce monde. Crier dans un champ, crier tellement fort que je verrais les oiseaux s’envoler par dizaines. Sans réfléchir plus, je pris le poignet d’Emily pour l’entrainer dans ma course à travers la petite ville qui se présentait devant nous. Une fois ses jambes prirent un élan identique au mien, je la lâche pour que nous courions avec plus d’aisance. J’étais devant elle, je ne ressentais aucun essoufflement, si une faiblesse me prenait alors c’est comme si mon enthousiasme prenait le dessus et m’empêchait de ressentir quoi que ce soit.

Je ne regardais pas où j’allais, par moment j’évitais de justesse une personne se promenant par-ci, par-là. Je riais en même temps que ma course me faisait progresser et j’espérais, sans bien y réfléchir, qu’Emily était tout autant joyeuse que moi.

Je passais souvent par quelques ruelles que je voyais du coin de l’œil, je tournais au dernier moment m’obligeant à conserver un certain équilibre pour ne pas flancher. Nous traversions le parc et mon rire se mêlait à celui des enfants respirant la joie de vivre. Suivi ensuite un grand bâtiment qui, on le voyait par les vitres transparentes, abritait une grande piscine.

Mon souffle commençait à manquer, un coup de tête en arrière me permit de voir qu’Emily, elle, aurait pu continuer à courir encore un peu, mais je n’avais pas envie qu’elle me passe devant et puis mon coup de joie extrême, ou bien de grain de folie, commençait à s’estomper en même temps que mon rire qui se faisait de plus en plus inaudible. Fort heureusement, il y avait des marches à l’endroit où j’avais arrêté notre course. En relevant la tête je vis le bâtiment auquel elles appartenaient : une église. Elle était magnifique, très grande et à la fois fine. Elle appartenait très certainement au style gothique. Tout en me faisant la réflexion à moi-même que j’aimais bien cette église, je vins m’assoir prêt d’Emily qui ne m’avait pas attendue pour reposer ses jambes du poids de son corps. Même s’il devait être moindre.